La clairière aux coquelicots

 

J'étais dans une forêt dense et silencieuse. L'air ouaté de brume me faisait chevaucher à l'aveuglette à travers un dédale de ronces et de racines entortillées. Cette absence de bruits animaux m'angoissait. Quelques rayons solaires qui perçaient la brume, me guidaient sur le sentier que je suivais à grand peine. Sous le poids d'une goutte de rosée un chétif brun d'herbe se pliait, les sabots de mon destrier faisaient craquer les brindilles et les arbres dansaient doucement au gré du vent. La solitude me donnait l'impression d'être étranger dans ce lieu hostile.
Enfin le brouillard se leva pour m'offrir un magnifique spectacle. Se dressait alors devant moi, dans une clairière rougeoyante de coquelicots, une splendide église. Je m'avançai pour observer de plus près ce chef d'oeuvre de pierre.
La porte en ébène avait été ciselée par un fin sculpteur. Les motifs étaient des poissons. La clenche taillée dans de l'agate était incrustée d'émeraudes et d'algues marines. Des statuettes de sil qui représentaient des personnages étaient nichées dans la façade. J'entrai dans le bâtiment, qui me paraissait irréel tellement la beauté était grande. J'étais encore plus émerveillé à la vue de l'intérieur. La nef était longue, sur ses dalles étaient dessinées des croix latines. Deux rangées de bancs en acajou donnaient une impression de profondeur à cette interminable allée. Je ne voyais même pas le choeur qui aurait dû se trouver en face de moi. Des coussins en velours pourpre brodés de fil doré siégeaient sur les bancs. Après une longue marche à travers ces sièges j'apercevais un transept merveilleux. Sur l'autel de marbre une mosaïque de pierres précieuses et d'or représentant la Cène s'animait. Je voyais avec émerveillement le dernier repas du Christ se dérouler. Je découvrais un missel dont la reliure était richement décorée de perles. Mais le plus impressionnant était le choeur, des vitraux magnifiques représentaient la vie du Christ. Ils inondaient la salle de lumière. Une gigantesque rosace éclairait de rayons de soleil multicolores un reliquaire d'un saint en vermeil. Sur la tête du personnage une couronne d'épines véritables. Détail intrigant...
Une petite porte discrète, misérable et rongée par les termites attira mon attention. Sans doute la crypte. Je poussai délicatement l'entrée qui s'effondra dans un nuage de poussière. Quand il fût dissipé je vis des escaliers crasseux taillés grossièrement dans la pierre. Le lieu était humide et des gouttes d'eau tombaient pour venir s'écraser sur mon heaume. Instinctivement je dégainai mon épée. Quand j'arrivai en bas, je découvris avec horreur une ombre gigantesque se dessiner sur le mur du tunnel qui menait à la salle principale de la crypte. Plus j'avançais, plus une odeur putride imprégnait l'atmosphère. J'arrivai enfin à la pièce, le lieu était rempli de pièces et de diamants. Des bruits de pas ... Un être lourd... Qu'est-ce que c'était? Et cette odeur qui m'asphyxiait !
Un reptile haut de trente pieds entrait juste en face de moi mais il ne me vit pas. A chaque pas le trésor tremblait. La bête diabolique était laide, hideuse et repoussante. Son corps écaillé et pourpre se frottait contre la paroi. A travers ses ailes dépliées, on voyait ses veines. De sa longue queue, il frappa un bloc de pierre qu'il fît tomber. Ses pattes musclées frappaient le sol. Celles de l'avant attrapèrent entre ses ailes une poignée d'hommes qu'il venait de chasser. Il les dévora avec gloutonnerie comme s'il n'avait pas mangé depuis longtemps. Sur ses longues dents acérées ruisselait du sang. Son regard de braise me captivait. Ses yeux n'avaient pas de pupilles, je n'aurais su dire ce qu'il regardait. De son unique corne torsadée comme celle d'une licorne il repoussa les os restants pour les jeter plus loin. Il plia ses ailes et se coucha au sol. La bête n'était plus qu'une masse pourpre, sa colonne vertébrale formait des cuvettes sur le plateau qu'était son dos.
Il dormait les yeux ouverts ! J'avais très peur en pensant à la façon dont il n'avait fait qu'une bouchée de ces hommes. Je ne pouvais qu'être vigilant. Je dégainais mon épée par précaution. Ses oreilles pivotèrent vers moi. Il se leva d'un bond et ses veines ressortirent d'entre ses écailles. Il inspira longtemps, se gonfla et cracha du feu. C'était donc un dragon ! Mais il devait être aveugle car il enflammait tous les côtés où le moindre bruit se faisait entendre. J'étais visible mais il ne me voyait pas ! Mais il avait l'ouïe très fine.
Il m'avait remarqué. Il lançait des jets de flammes dans tous les sens et hurlait en balançant sa tête. Il me cherchait. Il fallait que je combatte. Je sortis de derrière la porte. Et j'attaquais. Je fonçai sur la bête et donnai un grand coup dans son poitrail. L'éraflure se referma instantanément. Il riposta, me chargea, tête baissée. Il m'écrasa de son front contre le mur. Sous mon bras gauche, j'avais sa corne. Je brandis mon épée pour le frapper à la tête mais il recula et libéra de la paroi rocheuse. Viendrai-je à bout de ce reptile ? A nouveau, je partis à l'attaque, je réussis à lui trancher le cou. La tête tomba. Sous la douleur, son corps décapité pivota et de sa puissante queue il me repoussa contre le roc. Je m'extirpai avec difficulté. Surpris, je vis une nouvelle tête repousser. Je ne sentais plus mon bras gauche ; l'épée dans ma main droite, j'avançais avec un immense désir d'en finir avec lui. Il me défiait du regard. Il me brûla la jambe droite de sa langue enflammée. Je me déplacais avec grand peine et mon habileté à manier l'épée me perdait. Je lui ouvris le ventre en mettant à nu ses viscères et sa chair. Mais ce fut encore tentative vaine. Il me repoussa de sa patte emportant avec lui des lambeaux de chair. A nouveau, sa plaie se cicatrisa instantanément. J'étais à terre et la bête me sauta dessus.
La dernière image dont je me souvenais, était le poitrail musclé du dragon dont je m'extirpais avec difficulté. Je venais de tuer le dragon d'une épée dans le coeur. Je jetais un dernier regard au reptile ; le spectacle n'avait rien de réjouissant. La carcasse du monstre baignait dans son sang noir.
Je sortis très vite de l'église, à la fois fier de moi et à la fois coupable d'avoir fait couler le sang dans la maison de Dieu.

Margaux 5°3