Le dragon est ce bon ?

 

Ecoutez messires, cette histoire vraie, toute vraie qui s'est passée, il y a quelques années près du château de Manderen.
Un dragon vivait dans les environs du village de Manderen. Tous les soirs de pleine lune, il venait terroriser les habitants en brûlant quelques maisons et en capturant quelques enfants et villageois.
Ce soir là, il fait prisonnier un garçon qu'il conduisit dans sa grotte.
_ Pourquoi, lors de ta précédente expédition as-tu capturé ma maman ? lui demanda le garçonnet?
_ Tu poses beaucoup trop de questions pour ton âge, rugit le monstre qui l'avala tout cru.
Mais, le lendemain le dragon fut réveillé par une drôle de conversation :
_ Ô mon chéri ! Comme tu m'as manqué! Comment vas-tu ? Cela fait une éternité que je ne t'ai pas serré dans mes bras.
_ Ô maman, toi aussi tu m'as manqué énormément.
Le dragon qui, comme vous le savez tous, est assez bête, se demandait d'où pouvaient provenir ces voix.
_ V'là maintenant qu'j'entends des voix, s'écria-t-il.
Et il se tordait le cou à droite, à gauche, en bas,en haut à essayer de découvrir qui parlait. Pendant qu'il gesticulait, les voix avaient cessé. Dès qu'il s'immobilisa, il entendit cette autre conversation :
_ Bonjour, monsieur le curé !
_ Bonjour, Mariette ! Tiens, mais n'est ce pas votre fils Jeannot que voilà ? Que Dieu vous bénisse !
Le dragon était incrédule.
_ Je le crois pas! Je le crois pas! Comment le curé peut-il parler puisque je l'ai mangé ? J'ai même failli m'étouffer. Je ne comprends rien de rien à cette histoire.
_ Oh! Pas possible! Meunier t'es là ? Tu dors pas ? J't'ai pas vu faire tes Pâques, poursuivait le curé.
_ C'en est trop ! se dit le dragon. J'entends parler des personnes que j'ai déjà mangées. C'est absurde !
Mais... mais... mais... alors les voix ne peuvent provenir que de mon ventre ! Au secours ! Au secours ! L'homme de Dieu qui est dans mon ventre est en train de faire des siennes !
Il eut si peur qu'il tomba raide mort. Pendant ce temps, au village, les plus courageux, lassés des ravages, décidèrent d'en finir avec lui. Ils assaillaient sa grotte juste au moment où il venait de mourir.
_ Quel froussard, ce dragon! dit le forgeron. Et dire qu'il nous a fait trembler jusqu'à aujourd'hui !
_ Qu'allons nous faire de sa dépouille ? demanda le cordonnier.
_ Le dragon est une bête du diable! Alors brûlons-la, cria un homme du village.
_ Mais pour preuve de notre exploit, tranchons lui la tête. Empaillons-la et plaçons la à l'entrée du village, histoire d'éloigner le diable !
_ Et si on lui ouvrait le bide ? suggéra un vilain.
_ Vilain, ô vilain, tu as raison, cria une voix étouffée.
Qui ? Qui ? Qui a parlé ? interrogea le vilain qui se signa. Il y a de la sorcellerie là dessous. Par St-Pierre, Jésus, Marie, j'ai entendu not' curé celui qu' a été enlevé, vouis, j'l'ai entendu parler comme je vous vois.
_ Jean, calme-toi, reprit la voix étouffée. C'est vrai, c'est bien moi. Ce n'est pas de la sorcellerie. Je suis toujours vivant tout comme les autres. C'est moi, votre bon curé. Je suis avec la Mariette, avec le meunier et y'a même p'tit Jean qui nous a rejoints.
_ Mais où êtes vous ? interrogèrent les villageois en choeur.
_ Dans le ventre du dragon ! Ouvrez lui le ventre et ainsi nous pourrons sortir, poursuivit la voix étouffée.
_ Mais vous devriez être morts, dit le forgeron puisque le dragon vous a mangés.
_ Non, il n'a fait que nous gober. Nous avons échappé à ses dents acérées, expliqua le curé.
_ Dépêchez-vous d'ouvrir car ça pue là dedans ! cria le meunier.
_ Eh, meunier, dès qu' t'es sorti de là, je veux te voir à confesse car tu parles mal, dit le curé.
_ C'est bien eux, c'est bien eux, crièrent les villageois. Ouvrons, ouvrons le dragon ! Délivrons, délivrons-les du méchant dragon.
Il leur fallut beaucoup d'acharnement pour percer l'épaisse peau du dragon. Enfin, le curé, Mariette, Jeannot et le Meunier furent délivrés et acclamés.
_ Que ferons-nous du dragon qui reste ? interrogea le cordonnier. J'veux bien me charger de la peau pour faire des sacs.
_ Ô paroissiens, dit le curé, vous qui n'avez pas mangé de viande depuis plusieurs mois, je vous autorise après ma bénédiction à goûter à ce nouveau plat.
C'est ainsi que tous les villageois se régalèrent d'un dragon, le lendemain d'une nuit de pleine lune. Mais «le dragon, est-ce bon ?» j'entends, Messires, votre question. Seuls ceux qui y ont goûté cette nuit-là pourront vous le dire.
D'autres plus pointilleux parmi vous diront peut être «Comment ! Ils ont osé manger du dragon !» La réponse vous est donnée par les villageois.
Il vaut mieux avoir du dragon dans l'estomac que l'estomac dans les talons.

 

D'après le texte de Charlotte 5°3